Phrases marquantes est un titre qui attire par sa nouveauté, mais qui aussi interroge, car malgré son accroche immédiate, il fait énigme.
Qu’est-ce qu’une phrase marquante ?
Toutes sortes de réponses peuvent être données. Or c’est parce que nous nous référons au champ psychanalytique que nous nous questionnons et que nous devons, en conséquence, discerner en quoi, mais aussi pour qui, une phrase peut être jugée marquante.
Les 54es journées de l’École de la Cause freudienne auront donc pour objectif d’apporter des réponses pertinentes pour déplier ce titre, en passant par la clinique articulée au discours analytique.
Par cet argument, notre visée est d’indiquer des pistes, de susciter des interrogations, des hypothèses, ainsi que l’envie de travailler en participant, d’une façon ou d’une autre, à ce grand événement de l’École que seront ces Journées.
Provenance et destination d’une phrase marquante
Soulignons tout d’abord que ces phrases relèvent tout aussi bien de ce qui est entendu que de ce qui est lu ou pensé. De plus, elles ne sont pas seulement marquantes pour celui vers qui elles sont dirigées. Une phrase adressée a priori à quelqu’un peut produire un effet bien plus vif sur tel autre, qui dès lors la fait sienne. Ceci nous interroge par conséquent sur la destination d’une phrase.
Certains propos de l’ordre de la demande, voire du commandement, de l’insulte ou de la menace renvoient souvent à cette problématique.
Par ailleurs, la provenance d’une phrase ne joue-t-elle pas aussi un rôle quant à la force de son impact ? Une flèche n’atteint son but que si elle est bien décochée, ce qui se rapporte non pas à sa pointe, mais à son encoche sur la corde de l’arc.
De plus, une phrase n’aura sans doute pas la même incidence, pour celui qui la reçoit, lorsqu’elle provient d’une source quelconque ou de quelqu’un ayant une place privilégiée.
Si l’on ajoute à la provenance de la phrase, l’objet qu’elle véhicule, le ton de la voix qui l’accompagne, sa tournure, sa grammaire ainsi que l’instant où elle percute le récepteur, cela impliquera beaucoup d’éléments et de niveaux en jeu.
Ainsi, les notions et les concepts de la psychanalyse, tels que le sujet, l’Autre, l’objet, l’articulation signifiante, le temps logique, soit ce que chaque phrase marquante dévoile de singulier, constitueront ici nos repères.
Les phrases de l’enfance
Les phrases entendues dans l’enfance sont bien souvent celles qui restent inoubliables, voire ineffaçables, ou qui relèvent d’un refoulement. Demeurées ainsi à l’état quasi holophrastique, n’est-ce pas l’analyse qui produit un retour du refoulé, et qui, au-delà de leur énoncé peut faire résonner une énonciation ?
Certaines de ces phrases, eu égard à leur adresse et à leur provenance, ne permettent-elles pas de mettre au jour, pour le sujet, en quoi elles ont nourri son surmoi, ou encore de faire retentir qu’elles sont, sans qu’il le sache, à l’œuvre dans son destin ?
Ces phrases marquantes restées en souffrance trouveront-elles donc une autre issue que celle toute tracée du destin ?
Les phrases du sujet dans la séance d’analyse
Certaines de ses phrases peuvent paraître marquantes à l’analysant, par la forme de leur énoncé ou bien par ce qu’elles produisent comme effets, émotion, émoi ou angoisse, pour ne citer que ces affects-là, mais elles peuvent néanmoins être trompeuses. Tandis que d’autres, apparemment banales, laissent entendre, dans ce qui se dit, autre chose, ce qui en appelle alors à l’interven'on de l’analyste. C’est dire que la place de l’énonciation est toujours à préserver.
En effet, de son côté, l’analyste peut entendre dans le discours de l’analysant des phrases qui lui paraissent marquantes, au sens où elles suscitent son interprétation. Toutefois, les effets de l’interprétation de l’analyste sont-ils marquants de la même façon que ceux pointés, soulignés par l’analysant dans ce qu’il dit ? Les premiers visent-ils la même chose que les seconds ? Ne s’agit-il pas, dès lors, d’interroger ce qu’il en est de la marque ?
La marque du signifiant, ainsi que nous l’indique Lacan, est effacée de par la fonction même du signifiant. C’est une marque invisible. L’obsessionnel, par exemple, cherche la marque qui ne serait pas effacée, qui serait un signe sous le signifiant, et ce, en faisant subir à ce dernier toutes sortes de traitements. Il triture le signifiant dans tous les sens, le gratte, d’où son doute et son pinaillage permanents. C’est bien là que s’indique la différence entre la conception de la marque pour l’analyste et celle pour le névrosé.
Dans ce domaine, nous aurions à considérer, par exemple, les phrases de la demande d’analyse et partant du symptôme ainsi que celles du fantasme, lequel ne s’interprète pas, mais se dévoile et se formule logiquement.
Les phrases dites marquantes hors séance
En outre, il convient de noter ces phrases qui sont marquantes et qui relèvent de la contingence. Elles sont entendues, ou encore lues, lors d’une conversation, d’un spectacle, d’une conférence, d’une lecture (littérature, poésie, textes psychanalytiques) et laissent une certaine marque durable, énigmatique. Elles ont la forme d’aphorismes, de sentences, de slogans, de dictats et peuvent engendrer le meilleur comme le pire : styles de vie, croyances, certitudes, interprétations erronées, passages à l’acte. La question du sujet ne peut s’y saisir que si elles sont rapportées, voire avouées, et bien sûr interrogées dans l’analyse.
Enfin, il y a la marque imprimée par le feu d’une rencontre et qui engendre un désir faisant sérieusement difficulté au sujet. C’est une marque semblable à l’écharde dans la chair de l’apôtre Paul relevée par Lacan (1), et qui n’est pas près de s’effacer.
D’autres phrases marquantes
Ajoutons d’autres phrases telles que celles énoncées dans les rêves, qui ne sont pas des phrases déjà entendues à l’état de veille par le sujet et qui méritent dès lors d’être distinguées.
Évoquons encore les phrases de l’amour. Celles qui restent gravées ou ressassées, sinon incomprises quand l’amour déserte la scène. Celles qui ne cessent pas de s’écrire, toujours insuffisantes, insatisfaisantes, voire manquantes, et qui font le drame de l’amour.
Nous avons aussi les phrases du sujet psychotique qui sont interrompues, en suspens, ou encore sans ponctuation, holophrastiques, ainsi qu’allusives et hallucinées. Ce sont des phrases pour le moins marquantes eu égard à ce qu’elles signalent du sujet en question à distinguer du Je, le pronom personnel ou le shifter.
Du côté de l’autisme, notons les phrases ébauchées, itératives et qui sont marquantes par leur réduction, par leur usage, mais qui le sont encore davantage quand se révèle leur nécessité, parfois vitale, pour le sujet concerné.
Enfin, il y a les phrases qui ont, d’une manière ou d’une autre, un impact sur le corps, qu’il soit métaphorique, symptomatique, ou bien plus réel, telles que scarifications et blessures.
Faire résonner du nouveau
Chacune de ces pistes demande non seulement des développements en relation avec la théorie psychanalytique, mais surtout à être parcourue dans la clinique, soit à partir de la singularité de chaque cas, afin non pas de s’en tenir à une illustration, mais de leur donner chair, cette vie nécessaire qui fera résonner du nouveau dans ces Journées. Tels sont le pari et le vœu que nous engageons et formons pour celles-ci.
(1). Cf. Lacan J., « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 756-757.